mercredi 24 août 2011

Réseau Voltaire : c'est l'OTAN qui fait tout!

Réseau Voltaire | Tripoli (Libye)

On a pu observer au cours des derniers jours un changement tactique important de l’OTAN. En plusieurs zones loyales au gouvernement, l’Alliance a bombardé des checkpoints, créant de la confusion, pour larguer un peu plus loin des armes à des cellules rebelles dormantes, ou à des commandos de Forces spéciales infiltrés.
Ces opérations ont échoué, et les armes —derniers modèles— ont été récupérées par l’armée libyenne. Mais à n’en pas douter, l’OTAN perfectionnera sa méthode et parviendra ultérieurement à la mettre en œuvre.
Cette innovation tactique montre qu’il ne s’agit plus de favoriser un soulèvement populaire contre « le régime de Kadhafi », mais d’inciter à la guerre civile.
Ne croyez pas un mot de ce que vous disent les télévisions satellitaires de la Coalition. À titre d’exemple, au moment où j’écris ces lignes [samedi 20 août après-midi], elles viennent d’annoncer qu’une unité de l’armée s’est mutinée et a pris le contrôle de l’aéroport ; que l’on se bat dans la capitale et que des chars ont été déployés. C’est de la pure invention. Prenez plutôt comme source d’information les télévisions satellitaires d’États ne participant pas au conflit : la chaîne latino-américaine TeleSur ou la chaîne iranienne PressTV qui, depuis le départ de Russia Today, sont les seules sur place à rendre compte objectivement des événements.En voyant la date de l'article on peut penser que c'est vrai mais cela semble de la propagande.
La propagande atlantiste nous assure, à longueur de journée, que les rebelles progressent, qu’ils ont pris tel ou tel village « stratégique », et que « les jours de Kadhafi sont comptés ». Combien de fois nous ont-ils annoncé que Kadhafi avait fuit au Venezuela ou s’était suicidé ?
Dernier avatar de cette guerre psychologique l’annonce faite par l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) de la nécessité d’évacuer au plus vite 600 000 travailleurs étrangers avant l’inévitable bain de sang ; une déclaration sans fondement, destinée à semer la panique. L’OIM ne ressort pas des agences des Nations Unies. Elle est dirigée par l’ambassadeur US William Lacy Swing, tristement célèbre en Haïti.
En réalité, l’OTAN a pris acte de son enlisement et ne vise plus une solution militaire classique. Sa tactique est désormais conçue pour appuyer une action politique souterraine visant à provoquer une dislocation de l’État.
L’idée est que les Libyens prêts à soutenir le CNT se comptent en dizaines ou en centaines de milliers, tandis que ceux qui soutiennent le gouvernement se comptent par millions. Dès lors, il est illusoire de penser que les « rebelles » pourront contrôler le pays à court ou moyen terme.
Contrairement à une idée répandue, ce ne sont pas tant les rebelles qui se battent contre l’armée libyenne et ses réservistes, c’est l’OTAN. Le schéma est désormais bien rôdé : des hélicoptères Apache investissent une localité en mitraillant tout ce qui bouge. La population fuit et l’armée se retire. Les « rebelles » investissent alors la bourgade. Ils hissent le drapeau monarchiste devant les caméras de CNN et consorts. Ils se font photographier en faisant le V de la victoire, puis pillent les maisons abandonnées. Propagande, mais plausible.
Lorsque l’OTAN se retire, l’armée libyenne revient et les « rebelles » s’enfuient, laissant derrière eux une ville dévastée. Chaque jour le CNT clame donc avoir pris une localité qu’il perd le lendemain. Au moment où j’écris ces lignes, l’armée libyenne a repris le contrôle de Zwaya et de sa raffinerie, de Brega et de raffinerie, et surtout de presque toute la ville de Misrata.?????? La seule localité importante tenue par les « rebelles » est Benghazi. Ailleurs, ils n’étaient que de passage avec leur cohorte de journalistes embarqués. Avec l’aide de l’OTAN, les rebelles peuvent pénétrer n’importe où, mais sans l’aide de la population, ils parviennent à se maintenir nulle part.
Réunis à Washington le 25 juillet au Center for Strategic & International Studies (CSIS), les meilleurs experts états-uniens sont arrivés à la conclusion qu’il n’y a aucun moyen de prendre Tripoli, en tous cas pas avant deux ou trois ans.Bien démenti depuis. Il est par contre possible, comme l’anticipe Daniel Serwer dans une note du Council of Foreign Relations (CFR) de provoquer une implosion du régime. Il s’en suivrait que les zones rurales, dont l’organisation sociale est de nature tribale, sombreraient instantanément dans un chaos plus proche de l’exemple somalien que de l’exemple irakien. Certaines zones urbaines, principalement Tripoli qui abrite le quart de la population libyenne, dont l’organisation sociale est plus familiale et individuelle, resteraient à la fois loyales au gouvernement et stables.
D’ores et déjà il a été décidé que le pitoyable Conseil national de transition serait maintenu pour la forme, mais dessaisi de ses prérogatives, qu’au demeurant il n’a jamais exercées. L’ambassadeur Gene A. Cretz serait nommé « gouverneur de la Libye libre » (sic), comme le général Jay Gardner l’avait été en Irak. Cretz a constitué son équipe et se tient prêt à tout moment à débarquer.On vérifiera si ça se passera comme ça, ce devrait être très confidentiel cette Course of Action.
Après avoir tenté un coup d’État en octobre, inventé un alibi humanitaire pour conquérir le pays en février, puis avoir envisagé la partition de la Libye sur le modèle kosovar en juin, et s’être lancé début août dans une campagne pour faire souffrir la population jusqu’à se qu’elle se révolte, l’OTAN glisse insensiblement vers le « chaos constructeur », cher aux Straussiens [1] qui ont précisément voulu cette guerre pour étendre à l’Afrique du Nord le « remodelage » qu’ils ont commencé au Proche-Orient. Dans un tel cas, le maintien de Mouammar Kadhafi à Tripoli serait une aubaine pour créer un conflit régional généralisé entre arabes et « autochtones » (Berbères etc.). En effet, à la différence du Proche-Orient, l’Afrique du Nord ne se prête pas à un conflit sectaire sunnite/chiite.
Le chaos libyen serait progressivement étendu à l’ensemble de l’Afrique du Nord (sauf l’Égypte) en installant la terreur d’Al Qaida au Maghreb Islamique.Machiavélique!
Il va de soi que le chaos en Libye aurait des conséquences catastrophiques pour tous les pays de la Méditerranée, et en premier chef pour l’Italie et la France qui s’en trouveraient profondément et durablement déstabilisés. L’Europe serait privée d’importantes fournitures de gaz et de pétrole, et devrait simultanément faire face à un afflux massif de réfugiés. Dans cette perspective, le CFR recommande d’envisager une occupation militaire durable, seule apte à stabiliser le pays. Cependant, il est peu probable que l’administration Obama puisse —en pleine campagne électorale— financer un vaste déploiement de troupes au sol, face à une opinion publique intérieure qui exige des économies. Le CFR préconise donc que Washington transfère cette charge sur les Nations Unies et l’Union européenne.
Si l’on suit cette logique, Washington et d’autres ne manqueront pas d’invoquer les responsabilités post-conflit déterminées par la Convention de Genève pour imposer ce fardeau au couple franco-britannique qui a pris le leadership médiatique de la guerre.
De son côté, l’émir Hamad bin Khalifa Al Thani a envoyé un émissaire en Tunisie pour tenter une OPA. L’ex-Premier ministre français, désormais employé du Qatar, Maître Dominique de Villepin, était mandaté pour acheter la trahison des Kadhafi. Il n’a pas eu le succès escompté. Contrairement à une idée reçue à Doha et à Paris, certaines personnes ne sont pas à vendre.
Quoi qu’il en soit, la suite des événements s’apparentera probablement à un coup tordu : l’émir de Qatar est en train de faire construire à Doha des décors en carton pâte représentant Bab el-Azizia (la place sur laquelle se trouvait l’ancien palais de Mouammar Kadhafi) et la Place verte (la place centrale de Tripoli où le « Guide » prononce ses discours). À n’en pas douter, les prochaines images exclusives d’Al-Jazeera ne manqueront pas de créer une réalité virtuelle qui fera, à sa manière, partie de l’Histoire.
 
En pleine attaque de l’OTAN sur Tripoli, Silvia Cattori a pu s’entretenir avec Thierry Meyssan, dimanche 21 août 2011 à 23 heures. Le président du Réseau Voltaire a aussi pu s’exprimer par vidéo à 2 heures du matin. Les communications sont depuis lors extrêmement difficiles. Alors, que l’OTAN, le CNT et les médias qui les soutiennent parlaient déjà de la chute de Tipoli, la situation semble avoir radicalement changé. Le dernier message de Thierry Meyssan, daté de 4h30 ce mardi 23 août, parle de grande « victoire » des loyalistes. Selon lui, les assaillants ont été écrasés, « des missiles sol-air ont été apportés en ville », tandis que « l’OTAN a du stopper les bombardements ». « Saïf al-Islam que l’on assurait arrêté a surgit du Rixos et a été acclamé par la foule à Bab Al Azizia. » La réalité paraît une nouvelle fois très éloignée de sa représentation médiatique.

Silvia Cattori : D’ici on a le sentiment que Tripoli est en train de s’effondrer. Quel est votre avis ?
Thierry Meyssan : Nous sommes enfermés dans l’hôtel Rixos. On ne peut pas dire si tout va s’effondrer ou pas. Mais la situation est très tendue. Hier soir, au moment de la prière, plusieurs grandes mosquées ont été verrouillées. Tout de suite après des haut-parleurs ont lancé l’appel à l’insurrection. À ce moment là des groupes armés ont commencé à sillonner la ville et à tirer dans tous les sens. Nous avons appris que l’OTAN a amené un bateau, juste à proximité de Tripoli, d’où ont été débarquées des armes et des Forces spéciales. Depuis les choses vont de pire en pire.
Silvia Cattori : S’agit-il là de « Forces spéciales » étrangères ?
Thierry Meyssan : On peut le supposer. Mais je ne suis pas en mesure de le vérifier. Même si ces « Forces spéciales » sont formées de Libyens tout leur encadrement est étranger.
Silvia Cattori : Quelle est la nationalité de ces « Forces spéciales » ?
Thierry Meyssan : Ce sont des Français et des Britanniques ! Depuis le début, c’est eux qui font tout.
Silvia Cattori : Comment tout a-t-il soudain basculé ?
Thierry Meyssan : Le 21 août, en fin de journée, un convoi de voitures avec des officiels a été subitement attaqué. Pour se mettre à l’abri des bombardements les membres de ce cortège se sont réfugiés dans l’hôtel Rixos, où réside la presse internationale, et où par hasard je me trouve.
Depuis ce moment là l’hôtel Rixos est encerclé. Tout le monde porte des gilets pare-balles et des casques. On entend tirer dans tous les sens à l’entour de l’hôtel.
Les forces rentrées dans Tripoli depuis hier elles n’ont pris aucun bâtiment en particulier ; elles ont attaqué des cibles à certains endroits en se déplaçant. Il n’y à en ce moment aucun bâtiment occupé. L’OTAN bombarde de manière aléatoire pour terroriser toujours davantage. Difficile de dire si le danger est si important qu’il y paraît. Les rues de la ville sont vides. Tout le monde reste enfermé chez soi.
Nous, on est prisonniers dans l’hôtel. Cela dit on a l’électricité, l’eau, nous ne sommes pas à plaindre. Les Libyens oui. Il y a des tirs maintenant alentour, une intense bataille ; il y a déjà eu de nombreux morts et blessés en quelques heures. Mais, nous, on est préservés. Nous sommes tous regroupés dans la mosquée de l’hôtel. Vous entendez des tirs en ce moment.
Silvia Cattori : Combien d’assaillants encerclent en ce moment votre hotel ?
Thierry Meyssan : Je suis incapable de vous le dire. C’est un périmètre qui est assez grand parce qu’il y a un parc tout autour de l’hôtel. Je pense que s’il n’y avait que les assaillants ce ne serait pas si simple de prendre Tripoli. Mais s’il y a d’autres troupes de l’OTAN avec eux oui, ça change tout, le danger devient grand.
Silvia Cattori : Sur les images diffusées par les télévisions ici ce que l’on a vu au cours de ces six mois ce sont des excités qui tirent en l’air, et qui ne paraissent pas des professionnels
Thierry Meyssan : On a vu en effet des bandes qui s’agitent et qui ne sont pas militairement formées. C’est de la pure mise en scène, ce n’est pas de la réalité. La réalité est que tous les combats sont menés par l’OTAN ; et quand leur objectif est terminé les troupes de l’OTAN se retirent. Alors de petits groupes arrivent - on voit à chaque fois une vingtaine de personnes - mais on ne les voit jamais en action en réalité. L’action ce sont les forces de l’OTAN.
C’est ainsi que cela s’est toujours passé dans les villes qui ont été prises, perdues, reprises, reperdues, etc. À chaque fois ce sont les Forces de l’OTAN qui arrivent avec des hélicoptères Apaches et mitraillent tout le monde. Personne ne peut résister, au sol, face à des hélicoptères Apaches qui bombardent ; c’est impossible. Donc ce ne sont pas les rebelles qui font le travail militaire, c’est de la blague ça ! C’est l’OTAN qui fait tout. Après ils se retirent, puis « les rebelles » viennent qui font de la figuration. C’est cela que vous voyez diffusé en boucle.
Silvia Cattori : Sait-on combien de « rebelles » en armes sont entrés dans Tripoli cette nuit ? Et si des cellules dormantes étaient déjà là ?
Thierry Meyssan : Forcément, oui, il y a des cellules dormantes dans Tripoli ; c’est une ville d’un million et demi d’habitants. Qu’il y ait des cellules combattantes à l’intérieur c’est tout-à-fait probable. Quant aux assaillants, encore une fois, je ne sais pas quelle est la proportion de l’encadrement par les forces l’OTAN. La vraie question est de savoir combien de Forces spéciales ils ont déjà déployées.
Il y a maintenant les forces militaires du colonel Kadhafi dans la ville. Elles sont arrivées assez tardivement depuis l’extérieur. Les assaillants encerclent l’hôtel. Je pense qu’il est impossible cette nuit de tenter un assaut contre l’hôtel.
Silvia Cattori : La panique a-t-elle gagné les gens qui résident à l’hôtel ?
Thierry Meyssan : Oui les journalistes résidant ici à l’hôtel Rixos sont complètement paniqués. C’est une panique générale.
Silvia Cattori : Et vous comment vous sentez-vous ?
Thierry Meyssan : Moi j’essaie de rester zen dans ces situations !
Silvia Cattori : Combien de journalistes étrangers sont-ils retranchés dans l’hôtel ?
Thierry Meyssan : Je dirais entre 40 et 50.
Silvia Cattori : Les gens ignorent que, là où il y a des journalistes qui couvrent la guerre, il y a toujours bon nombre d’entre eux qui font du renseignement, qui sont des agents doubles, des espions
Thierry Meyssan : Il y a des espions partout ; mais je pense qu’ils ne savent pas tout.
Silvia Cattori : On dit ici que le plan pour évacuer les étrangers est prêt. Ils vont donc pouvoir sortir…
Thierry Meyssan : L’Organisation internationale pour les migrations a un bateau qui est prêt à accoster dans le port de Tripoli pour évacuer les étrangers, notamment la presse, prioritaire, dans ces cas là.
Silvia Cattori : Et vous que comptez-vous faire ?
Thierry Meyssan : Pour le moment ce bateau est toujours au large ; il n’est pas rentré dans le port. C’est l’OTAN qui l’empêche d’accoster. Quand l’OTAN l’autorisera l’évacuation se fera.
Silvia Cattori : Cette évolution vous surprend-elle ?
Thierry Meyssan : Les choses se sont accélérées quand le bateau de l’OTAN est arrivé. Si ce sont des combattants appartenant aux Forces spéciales de l’OTAN qui sont ici au sol c’est évident que tout peut tomber rapidement…
Silvia Cattori : Les citadins sont-ils tous munis de fusils comme on l’a dit ?
Thierry Meyssan : Le gouvernement a distribué presque deux millions de kalachnikovs dans le pays pour assurer la défense face à une invasion étrangère. Dans Tripoli, tous les citoyens adultes ont reçu une arme et des munitions. Il y a eu un entraînement ces derniers mois.
Silvia Cattori : Les Libyens qui le voudraient ne sont donc pas en mesure de sortir manifester contre les forces de l’OTAN ?
Thierry Meyssan : Là les gens sont paralysés par la peur ; on tire de partout ; et en plus on bombarde.
Silvia Cattori : Votre position n’est pas facile. Parmi les journalistes vous devez avoir des ennemis qui veulent votre peau pour avoir contredit leurs versions des faits !
Thierry Meyssan : Oui. Déjà je suis menacé par des « journalistes » US qui ont dit qu’ils vont me tuer. Mais ensuite ils ont présenté leurs excuses… Je n’ai aucun doute sur leur intention.
Silvia Cattori : L’ont-ils proférée cette menace devant témoin ?
Thierry Meyssan : Oui en présence de [...].
Cet entretien a été réalisé par Silvia Cattori le dimanche 21 août 2011, à 23 heures. Il a été retranscrit par les soins de Marie-Ange Patrizio.
 
 

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